Conduites et gaines techniques dans les dalles et murs. A qui la responsabilité ?

Le nombre de conduites et d’évidements traversant les murs et celles noyées en dalle sont chaque fois plus importantes. Il revient souvent à l’ingénieur civil de devoir intervenir envers les divers corps de métier pour exiger le déplacement, la réparation ou le rassemblement des conduites noyées.

J’ai lu un article très intéressant sur ce thème avec lequel je partage les mêmes opinons que l’auteur. Je tiens à commenter et compléter le document Basys : téléchargeable ici.

En tant qu’ingénieur civil spécialisé structures et également spécialisé en génie thermique je suis particulièrement sensible à ces questions. Lors de mon expérience en tant qu’ingénieur structures dans un bureau à Genève, il est vrai que l’on n’était pas particulièrement « sensibilisé » aux cheminements des incorporés qui passent en dalle. Lors des contrôles sur le chantier, on contrôlait si les armatures étaient conformes aux plans et s’il n’y avait pas de modifications majeures, puis on validait l’exécution. Très souvent on contrôlait les plans CVCSE en vérifiant que ceux-ci ne passaient pas trop proche des piliers ou au travers d’une poutre. On ne se préoccupait pas des cheminements des tuyaux et souvent la validation se faisait sans regarder les diamètres des techniques noyés en dalle, souvent dessinées en unifilaire sans indication des sections. Pour les caissons de distribution noyés en dalle pas d’indications de leurs hauteurs et on ne savait pas ce qu’est un caisson à vrai dire. Tout ceci parce qu’il n’y avait pas un échange entre l’ingénieur civil et l’ingénieur de la technique.

Plus tard, je me spécialise en génie thermique et j’intègre un bureau d’études CVC. Mes taches consistaient à élaborer des concepts énergétiques, à dimensionner et dessiner les installations techniques. Au sein du bureau, personne ne se préoccupait par les passages des techniques dans les zones sensibles de la structure, on me disait : « si l’ingénieur civil n’a pas fait de remarques alors c’est bon ».  Avec ma perception d’ingénieur structures, je leur faisais part de mes remarques quant aux passages des gaines noyées dans les zones sensibles de la structure, et une fois encore dû au manque de connaissances des chefs de projets CVC, on me répondait « on n’a pas le temps et on veut que ça passe » ou alors d’un air moqueur, on me répondait « tu n’es pas ingénieur civil ».

Je reformule et je réponds aux questions posées dans le document BASYS :

  1. Est-ce de la seule responsabilité de l’ingénieur de vérifier que les différents corps de métier ont posé correctement leurs divers tubes (hauteur, espacement…) ?
  2. Est-ce qu’un projeteur, mais aussi un installateur, ne doivent se pencher que sur leur domaine d’activité ? Peuvent-ils avoir d’autres réflexions, par exemple en ce qui concerne les autres corps de métier ou même par rapport à la statique du bâtiment ?
  3. Est-ce qu’un projeteur est libéré de sa responsabilité dès que l’ingénieur civil a eu un aperçu de ses plans ?

Ma réponse à ces questions est également non.

Une fois que le projeteur commence a dessiner sa technique, celui-ci doit faire son cheminement en évitant dans la mesure du possible les zones statiques à risque, tel comme décrit dans la documentation Basys. Le projeteur peut très facilement imaginer les diagrammes des moments et efforts tranchants, il suffit en quelque sorte de visualiser les diagrammes présentés dans la figure 2 et figure 3 du document, c’est la façon dont je procède. Ensuite je chemine les incorporés à 1/4 de la distance de la travée à partir du mur et en espaçant les incorporés dès que je peux le faire. J’évite à tout prix de passer les incorporés proche des piliers et des sommiers (au moins un mètre du pilier). Dans le cas ou mes incorporés passeraient proche d’un pilier, alors j’en parle avec l’ingénieur civil (parfois nos plans d’incorporés ne passent même pas par l’ingénieur civil) pour trouver une solution. Après coup je demande à l’ingénieur civil une validation (quitte parfois à organiser une séance entre ingénieur technique, civil, architecte et entreprise générale).

Il existe plusieurs facteurs à risques dû à un manque de coordination pluridisciplinaire, par exemple :

  1. L’ingénieur civil n’a pas reçu les plans d’incorporés, car ni l’entreprise générale, ni l’architecte, ni l’ingénieur technique ne lui les a envoyé.
  2. L’ingénieur civil a reçu les plans mais les incorporés sont représentés par des lignes unifilaires sans précisions sur les diamètres. Il se dit que se sont de tout petits tuyaux (alors qu’il s’agit en fait de gros tuyaux) et valide les plans.
  3. L’ingénieur technique transmet les plans avec toutes les informations nécessaires via une plateforme d’échange du type Olmero, Batiweb, C24, etc… l’ingénieur civil n’a pas vu passé les plans et personne ne l’informe qu’il doit les valider.

Pour chacune de ces trois situations à qui incombe la responsabilité ?

A ma connaissance, aucune norme ou recommandation ne stipulent vraiment ces situations.

Dans le premier cas l’ingénieur civil n’est pas informé que les plans d’incorporés sont prêts, la responsabilité est partagée entre le pilote du projet (architecte ou entreprise générale), le coordinateur (souvent un des ingénieurs technique) et l’ingénieur technique qui a envoyé les plans. L’ingénieur civil doit aussi avoir le bon sens de demander les plans des incorporés pour validation et est aussi tenu comme responsable.

Dans le deuxième cas, une fois encore les responsabilités sont partagées. L’ingénieur technique ne donne pas suffisamment d’informations sur ces incorporés, l’ingénieur civil ne se pose pas les bonnes questions et le pilote du projet n’est pas attentif aux plans.

Pour le troisième cas nous avons une situation analogue à la première, la responsabilité est à mon sens partagée entre tous les acteurs en cas de problèmes. J’élaborerai un article sur les pathologies structurels dû à la présence de techniques dans les zones sensibles aux efforts et contraintes statiques.

Pour faire un bon travail de coordination pluridisciplinaire, j’estime que les projeteurs et ingénieurs des différentes techniques de chauffage, ventilation, climatisation, sanitaire et en électricité doivent apprendre les bases de la statique des structures afin de se sensibiliser aux cheminement et implantations de leurs techniques évitant ainsi dans la mesure du possible les zones statiquement sensible – quitte à suivre une formation si nécessaire.

En tant que coordinateur technique du projet, je dimensionne et je représente toujours les techniques CVCS de façon à optimiser la coordination pluridisciplinaire et en ayant la sensibilité d’éviter les zones sensibles statiques du projet. Si les autres mandataires, entreprise générale, Maître de l’Ouvrage ou son représentant me le demandent, je peux être emmené à conseiller les autres intervenants de façon à bien représenter leurs techniques sur leurs plans et je peux donner un avis sur le cheminement des techniques avec au final l’approbation de l’ingénieur civil. Tout cela mènera le futur exploitant à faire des économies sur d’éventuels interventions (fissurations, infiltrations, etc…)

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